Un débat très équilibré

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Stefano Peruzzi
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Un débat très équilibré

Message par Stefano Peruzzi »

Suspendu pour avoir projeté une vidéo anti-IVG à ses élèves
Par Camille Garcia | Rue89 | 25/11/2010 | 16H53

Un professeur d'histoire-géographie a été suspendu quatre mois à titre conservatoire pour avoir montré à ses élèves une vidéo anti-avortement dont les images sont quasi-insoutenables. La réaction des lycéens et des parents, choqués, avait déclenché l'ouverture d'une enquête par l'administration. Retour sur un dérapage.

Des fœtus déjà largement formés et sortis sans ménagement d'un utérus, des mains ou des pieds en lambeaux, des corps décapités, des débris humains jetés au fond d'un seau… Voilà qui vaut aujourd'hui à un professeur d'histoire-géographie du lycée public des Iscles, à Manosque, monsieur I., d'être suspendu quatre mois de ses fonctions.

Son ministre de tutelle lui-même a prononcé la sentence au micro de RTL. « Ce qui s'est passé est inacceptable, les professeurs sont tenus à un principe de neutralité, de respect de la personne », a martelé Luc Chatel.

La vidéo, projetée une dizaine de jours avant les vacances de la Toussaint, pendant un cours d'éducation civique, juridique et sociale (ECJS) à des élèves de seconde et première, est un film anti-avortement appelé « No need to argue » (« pas besoin de discuter ») et issu du site AvortementIVG.com [nous avons choisi de ne pas intégrer à l'article cette vidéo propagandiste et choquante, ndlr].

Une gynécologue-obstétricienne à Aix-en-Provence, confirme que ces images ne correspondent pas à la réalité en France. Dans cette vidéo, il s'agit « d'avortements tardifs pratiqués jusqu'à six mois en Espagne et quatre au Royaume-Uni ». Elle rappelle : « Cette opération reste dans tous les cas un drame dans une vie. »
« J'étais scié de voir ça, ça m'a donné envie de gerber »

A la sortie du lycée, Nadia, élève en seconde, témoigne :

« Il [l'enseignant, ndlr] a dit que nous allions voir une vidéo difficile, que ceux qui voulaient sortir le pouvaient, mais qu'ils seraient notés absents. Trois garçons sont sortis, il y en a même un qui a fait un malaise. »

« Ça m'a vraiment scié, c'était tellement réel, ça donnait envie de gerber », s'exclame Etienne. « On voyait le bébé sortir, couler tout mou comme une merde », renchérit Estelle.

Avec le recul, Nadia n'est toutefois guère étonnée :

« Cela faisait déjà un moment qu'il parlait de l'avortement, il disait que ce n'était pas bien. »

Parmi les garçons, certains sont plus nuancés, à l'image de Quentin qui estime que « l'avortement, il faut en parler, c'est un sujet de société comme les autres. On a discuté après la vidéo, j'ai bien aimé le débat… »
« Ils doivent voir pour se faire leur propre idée de l'avortement »

Joint par téléphone sur son lieu de travail avant la décision du rectorat, le professeur d'histoire-géographie défend sa démarche. Parfaitement droit dans ses bottes, il explique que le but de cette vidéo est purement « informatif, afin que les élèves aient une idée des différentes procédures qui existent dans différents pays européens ». Ajoutant :

« Une immense majorité des élèves est contente du débat qui a eu lieu sur l'avortement ; toute une classe vient d'ailleurs de refuser de témoigner contre moi. »

Fiametta Venner, politologue et rédactrice en chef de la revue ProChoix, analyse :

« Pour les “pro-vie”, le but de telles manœuvres est toujours le même : culpabilisation des jeunes filles et recrutement des garçons. Ainsi, à mesure que les jours passent, les élèves vont le défendre et vont être de moins en moins nombreux à trouver la vidéo choquante. »

Avant l'annonce de sa suspension, monsieur I. s'indignait déjà d'être l'objet de ce qu'il appelle « une enquête policière au sein de l'établissement ». Martelant :

« Nous sommes dans un Etat totalitaire, les seules opinions qui peuvent s'exprimer sont celles de l'Etat. Lorsqu'on se pose en faveur de l'avortement, c'est normal, mais si on essaye d'instaurer un vrai débat critique et contradictoire, là, c'est mal ! »

L'enseignant admettait la violence des images mais affirmait :

« Lorsqu'on montre les camps de la mort, c'est tout aussi choquant ! L'avortement existe, ils doivent voir pour se faire leur propre idée. Alors on peut choisir de le décrire verbalement ou montrer des images, cela revient exactement au même. »

Un enseignant coutumier du fait

Monsieur I. tentait encore de se dédouaner, en assurant qu'il avait recommandé à ses élèves de sortir, s'ils ne pouvaient soutenir ces images difficiles et réfute les avoir notée absents. Il dit avoir distribué le discours de Mme Veil et le texte de loi lui-même [en réalité, seules une ou deux classes ont reçu ces documents, ndlr].

L'enseignant avait déjà suscité la polémique au sein des parents d'élèves des Iscles. Katy Escallon, membre de la Peep (la fédération des parents d'élèves de l'enseignement public), a rappelé au cours du dernier conseil d'administration de l'établissement, le 8 novembre, qu'elle avait déjà signalé des faits similaires il y a deux ans. Sans résultat. Le proviseur lui avait assuré qu'aucune vidéo n'échappait à sa vigilance.

« Je crois qu'en réalité, il n'avait pas vu la vidéo ; j'aurais dû aller plus loin », regrette aujourd'hui cette mère, dont la fille « avait été très choquée ». Le proviseur, gêné, a reconnu ce jour-là avoir en sa possession plusieurs courriers de parents évoquant le prosélytisme pratiqué par l'enseignant en classe. L'année dernière, après la diffusion d'une vidéo similaire, il avait d'ailleurs demandé au rectorat de diligenter une inspection qui n'a pas abouti.
Cellule de soutien psychologique

Ce sont les parents de Charles, tous deux enseignants qui ont réagi les premiers. Au courant des agissements de monsieur I. et des vidéos qu'il a l'habitude de diffuser, ils conseillent à leur fils de refuser de visionner le moindre film.

Quelques jours plus tard, le lycéen sort de la classe au moment de la diffusion de la vidéo et va informer la conseillère principale d'éducation, mais le professeur refuse l'entrée de sa classe à la CPE. « Catastrophés », les parents envoient la vidéo par e-mail à des parents, aux professeurs et à Fabienne Bazin, tête de liste FCPE qui demande aussitôt d'intégrer cette question à l'ordre du jour du conseil d'administration du 8 novembre et envoie à son tour le lien au proviseur, qui informe le rectorat.

La détermination des parents et les images de la vidéo font leur effet. Un inspecteur pédagogique régional rencontre monsieur I. et une cellule de soutien psychologique collective, puis individuelle est mise en place par le proviseur et l'infirmière.

Le rectorat se veut rassurant, arguant que « l'inquiétude des parents a été entendue », tout en nuançant : « C'est à l'institution de déterminer une sanction, pas aux parents d'élèves. » Elle est toutefois allée dans leur sens avec cette mise à pied provisoire, qui pourrait précéder une sanction plus lourde.

La révocation, c'est en tout cas le souhait de certains parents d'élèves qui, dénonçant « un prosélytisme religieux constant », ont demandé à leurs enfants de ne plus suivre les cours de l'enseignant incriminé et font circuler une pétition afin « rétablir les conditions d'un enseignement public de qualité, véritablement laïc, et respectueux des enfants. »

Drôle d'affaire qui serait un cas d'espèce dans l'académie Aix-Marseille, si l'on en croit le rectorat. Ce que confirme Fiammetta Venner, du magazine ProChoix :

« On sait qu'il y a eu des diffusions de telles vidéos dans les lycées privés, mais dans le public, c'est extrêmement rare voire inédit. »

Retour du mouvement pro-vie

Pour Fiammetta Venner, cette affaire est symptomatique d'un retour du mouvement pro-vie en France. « Il a retrouvé une puissance équivalente à celle qu'il possédait dans les années 80. »

Deux raisons expliquent selon elle le phénomène :

* « L'arrivée de Benoît XVI à la tête de l'Eglise catholique a renforcé la position des traditionalistes chrétiens en entamant une guerre avec les modernistes ;

* les associations pro-vie américaines sont plus efficientes et plus actives depuis l'arrivée d'Obama. »

Cette tendance, on la retrouve en France. La Toile constitue un outil de propagande idéal pour ces associations. La rédactrice en chef de ProChoix le confirme : « Il y a plusieurs sites anti-avortement sur le Net. SOS IVG par exemple, ou SOS Bébé. » Ou le site qui héberge cette fameuse vidéo.
Source : http://www.rue89.com/2010/11/25/suspend ... ves-177706

Le plus choquant n'est pas d'avoir un débat sur l'avortement en ECJS, il ne faut pas hésiter à parler de ce thème, même s'il y a plus "moderne" au vu du consensus actuellement dégagé par les partis en mesure d'atteindre le pouvoir, si c'est dans un cadre dénué de provocations et de biais.

Ici nous avons un média qui ne ressemble en rien à ce qui est pratiqué en France pour faire monter la sauce et un slogan "pas besoin de discuter" qui n'est pas franchement le plus propice à un débat. De plus, beaucoup d'élèves ont regardé ce contenu sous la menace (même si elle n'a pas été mise à exécution), alors que même l'enseignant en question reconnait un caractère choquant, pour ceux qui ont des parents "old school" une heure d'absence, ça peut être vu comme une catastrophe.

Le tout est biaisé par l'absence de mise à disposition de documents favorables au droit à l'avortement.

Utilisation de menaces, images choquantes, débat biaisé, je trouve la suspension de 4 mois bien légère pour des faits indignes d'un enseignant.
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Yevgueni Makhno
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Re: Un débat très équilibré

Message par Yevgueni Makhno »

Eh bien... Plusieurs questions me viennent à l'esprit:

1/ Pourquoi parlons nous d'avortement en cours ?

2/ Pourquoi les arguments contre l'avortement sont ils parfois sous la forme la plus choquante ?

A ça, plusieurs réponses:

1/ Parce qu'informer les élèves-citoyens permet une prudence et rappelle que l'avortement n'est pas quelque chose de facile. Seulement, je trouve qu'en ECJS, c'est tout à fait inapproprié: il vaut mieux des élèves-citoyens qui connaissent leur pays plutôt que de savoir les effets de l'avortement et ses conditions. Des heures sur la sexualité sont plus à mêmes d'informer et de concentrer l'attention des élèves. L'ECJS est à mon sens une pure perte de temps lorsqu'elle est employée de cette manière.

2/ Parce qu'aujourd'hui, sous la pression morale et intellectuelle, dans l'optique du progrès inexistant et de l'interminable nouveauté nouvellement nouvelle, être contre l'avortement est dangereux. Bien sur, on ne risque pas un coup de surin, mais la réprobation est tellement forte que la forme violente est parfois la seule manière de se faire entendre. Ca marche de la même manière (et le parallèle est intéressant) en politique ou sous toutes formes d'actions revendicatives: en politique, certains partis se radicalisent sous l'effet de "grignotage" des voix par leur concurrent direct (la droite ira chercher toujours plus à droite, la gauche ira toujours chercher plus à gauche lorsque le centre est fort), en action directe (propagande par le fait par exemple, ou "terrorisme"), la violence et le choc sont les seuls moyens pour des individus dont le langage ou la portée de leur langage est défaillante. Ca n'apporte ni légitimité, ni justification, ce sont juste des raisons.

Par conséquent, je pense que ce professeur a manqué à son devoir de neutralité (comme bon nombre de professeurs), et qu'il devrait être radié de la profession pour faute grave, au même titre que tous les professeurs qui donnent leurs avis sur n'importe quelle question politique, économique, sociale, culturelle.
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Charles de la Tour
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Re: Un débat très équilibré

Message par Charles de la Tour »

Je rebondirais sur ta conclusion en posant une question que tout enseignant ou futur enseignant (comme c'est mon cas) est amené à se poser : quel enseignant n'a pas un jour donné son avis sur un sujet, si ce n'est pour faire un comparatif entre une période passée et une période actuelle ? Je pense sincèrement que peu d'enseignants arrivent à concerver leur droit de réserve pendant toute leur carrière : est-ce pour autant une raison de les radier de l'Education Nationale ?
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Stefano Peruzzi
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Re: Un débat très équilibré

Message par Stefano Peruzzi »

Pour la question sur l'avortement en ECJS, d'après ce que j'ai compris l'adoption de la Loi Veil était au programme (ne me demandez pas pourquoi je trouve ça étrange), et je pense aussi qu'il y a vraiment mieux à faire.

En ce qui concerne la tendance à la radicalisation, j'ai aussi pu le remarquer sur l'immigration, on a parfois l'impression qu'il n'existe pas de compromis entre la xénophobie honteuse et tout ouvrir n'importe comment, ce qui fait que dès qu'on se montre sceptique sur les bienfaits de l'immigration on passe pour un xénophobe, et dès qu'on montre les crocs face à une allusion douteuse on a le droit à une ritournelle sur un angélisme bien-pensant présumé.

Je crois que cette tendance est là pour montrer aux électorats qu'il y a une vraie différence entre gauche et droite, comme les politiques économiques sont désormais proches en raison de la mainmise de l'Union Européenne (grâce ou à cause, c'est selon votre vue). C'est un fait amusant au moment où l'on voit que les candidats socialistes les plus "clivants" (Royal n'est pas franchement de gauche radicale, mais elle a tendance à ne jamais laisser indifférent) auraient bien plus de chances d'échouer face à Sarkozy en 2012 que des candidats "rassurants".

Concernant la liberté de parole, je crois qu'il y a une énorme différence entre imposer des images choquantes à des élèves pendant des heures destinées aux cours tout en organisant un débat biaisé dans la foulée et une parole lâchée en l'air (surtout si c'est en dehors des cours).
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Yevgueni Makhno
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Re: Un débat très équilibré

Message par Yevgueni Makhno »

Charles de la Tour a écrit :Je rebondirais sur ta conclusion en posant une question que tout enseignant ou futur enseignant (comme c'est mon cas) est amené à se poser : quel enseignant n'a pas un jour donné son avis sur un sujet, si ce n'est pour faire un comparatif entre une période passée et une période actuelle ? Je pense sincèrement que peu d'enseignants arrivent à concerver leur droit de réserve pendant toute leur carrière : est-ce pour autant une raison de les radier de l'Education Nationale ?
Comme tout fonctionnaire, un manque de neutralité est considéré comme faute professionnelle.

Stefano: mince, pour cette fois, je ne serai pas l'avocat du diable :P
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